Ty an holen – Stéphane GUICHEN
Ty an holen signifie «La maison du sel» en breton
Producteur de sel marin à Beauvoir sur Mer (85), Stéphane Guichen produit du sel sur la saline de La Galopinière depuis 2002.
Cette saline a été la première du marais breton à être restaurée au milieu des années 1990 selon l’esprit (aspect, dimensions) des exploitations traditionnelles de la région, pour permettre l’installation d’un jeune saunier.
L’ensemble de l’exploitation couvre une superficie de 3 ha, dont 5 000 m2 pour les réserves d’eau et autant pour le circuit de récolte à proprement parler. Les 19 bassins de récolte, ou œillets, mesurent environ 6 m sur 9m (soit environ 1 000m2). Stéphane récolte à la main chaque année environ une dizaine de tonnes de sel, en fonction des conditions climatiques.
La récolte du sel est une activité saisonnière qui se déroule de mars à septembre, de la restauration du marais après l’hiver aux dernières récoltes avant les pluies automnales.
Chaque année, Stéphane fait transporter des tonnes de sel à la voile de Pornic (44) jusqu’à Morlaix (35) où il vit avec sa famille. Il choisit ce mode de transport ancestral et écologique pour limiter les émissions de CO2.
Stéphane vend le gros sel et la fleur de sel brut. Il prépare aussi différents sels aromatisés à partir d’aromatiques qu’il cultive lui-même et d’épices, le plus souvent bio, qu’il achète. Il vend sa production sur le marais en été, et tout au long de l’année sur plusieurs marchés dans le Trégor, via internet et pour plusieurs amap.
Le partenariat avec Consom’Solidaire a commencé en mai 2015 sur la base de deux livraisons dans l’année.
La saison 2020 sur le Marais de la Galopinière
Tout avait pourtant bien commencé…
Les deux mois de nettoyage et de mise en route de la saline garderont un relief tout à fait particulier, d’une part du fait du temps magnifique qui nous a été imparti, d’autre part par l’ambiance unique créée par le confinement du printemps. L’arrêt de la machine de mort industrielle s’est aussitôt fait ressentir dans le calme profond émanant des lieux et des êtres : les vibrations du sol, les chants des oiseaux et des insectes, les rayons du soleil n’ayant plus à se frayer un chemin à travers les traînées d’avions, tout sonnait différemment et juste. Une connivence nouvelle s’est instaurée avec les autres habitants du marais dont deux images me resteront : ce couple de lièvre se courant derrière sur les ponts en plein jour à quelques mètres de moi. Et les avocettes d’habitude si farouches qui, après quelques temps, ne poussaient plus leur cri d’alarme lorsque je descendais me mettre à l’ouvrage à côté d’elles.
Et puis le 11 mai au matin, 6h50, le premier véhicule à emprunter la route du Gois a été une toupie à béton, puis une seconde, puis une troisième, effectuant une dizaine de rotations chacune avant qu’il ne fut midi. Bienvenu dans le monde d’après…
Un bonheur n’arrivant jamais seul, le garçon avec lequel je pensais faire la saison est revenu bien tardivement au travail, terrorisé par le virus, alors qu’à la Galopinière les risques sont plus que limités avec des visiteurs encore rares à ce moment là, au très grand air et sur 3 ha. Pour améliorer mon bilan carbone et rester dans l’esprit du printemps, j’ai décidé de ne plus utiliser du tout ma pompe thermique pour le nettoyage du limon déposé par l’hiver sur l’argile. Tout peut se faire avec les outils traditionnels mais en beaucoup plus de temps puisque la vase doit d’abord sécher avant d’être sortie du marais à la pelle et à la brouette. Le soleil radieux nous promettant un démarrage précoce, l’opération devait être menée selon un timing parfait pour ne pas rater la saunaison. Le travail du jeune homme n’étant pas au rendez-vous, il a fallu repasser en urgence à la pompe, qui a rendu l’âme faute d’une bonne utilisation. Lorsque les premières pluies sont arrivées le marais n’était toujours pas prêt, il s’est retrouvé noyé et le jeune homme dans ses foyers.
L’arrivée du sel a donc été chaotique dans des œillets encore encombrés de vase pour certains, compromettant la bonne santé de l’argile. Le nettoyage enfin terminé (mi-juin!) la première série d’orages de l’été a déversé environ 80 mm d’eau en quelques jours (dont 40 en une seule journée) : pour illustrer la chose cela représente 8 litres d’eau douce par mètre carré, sur une saline qui en fait près de 8 000, soit au bas mot 70 mètres cubes avec le ruissellement…
Près de quatre semaines ont été nécessaires pour relancer la machine et à partir du 14 juillet le marais était enfin salant. Début août j’ai été rejoint par Aude : artiste, photographe, clown, guide du patrimoine, elle a quitté son emploi à Carnac pour venir découvrir ce métier qui la fascine depuis longtemps. Débuts tendus puisqu’un marais qui tourne à plein régime demande au moins 12 heures de travail quotidien et que son fonctionnement est totalement mystérieux. Le deuxième front orageux l’a assez vite soulagée puisqu’avant le 15 août il était retombé 60 mm… À cette date, la saison était plus que compromise, les journées étant notablement plus courtes et le temps encore très nébuleux.
Il nous restait encore le droit de rêver et nous ne nous sommes pas privés. Depuis quelques temps déjà je souhaitais faire de la Galopinière un lieu de séjour créatif, de déconnexion/reconnexion. Un premier stage de land-art devait avoir lieu en juin animé par Claire, une plasticienne, photographe et graveuse établie en Bretagne. Covid oblige le stage n’a pu se tenir mais Claire est venue se poser à plusieurs reprises dans l’été, installant son atelier dans les herbes, créant, modelant, accueillant les gens de passage et de nos nombreuses discussions est née l’idée d’une exposition inédite au grand air pour l’année prochaine. Une réflexion sur la notion de passage (tout près du Gois, normal), l’illusion de la fixité des formes et sur le principe d’entropie, à laquelle vous êtes d’ores et déjà tous-tes invité-es.
Et pendant ce temps là le sel revenait faire son baroud d’honneur grâce au temps magnifique de septembre, juste de quoi garnir les réserves de fleur pour l’hiver et le printemps !
En résumé, 2020 aura été plus que moyenne en termes de production mais très riche sur le plan des idées et des rencontres humaines comme animales. Vivement l’année prochaine à la Galopinière !